Lettre de la Gardienne du 22 mars dont la Garde a été reportée par le confinement dû au coronavirus... (avec son autorisation pour la publication)


Mon Cher Phare du Bout du Monde,

je me faisais une telle joie de passer 24 heures, seule, à ton bord.
Ç'aurait dû commencer aujourd'hui. Cette expérience avait une telle signification symbolique pour moi.

Habituée à la solitude, la réclamant régulièrement, l'appréciant le soir en rentrant chez moi après une journée de travail dans un bureau, en ville... Mais la vivre "confinée" dans un phare, au-dessus de la mer avec le minimum pour tenir 24h, je me disais que cela serait vraiment un challenge pour moi. Quelque chose de nouveau, de différent, d'unique. Un petit écart de ma zone de confort.

Juste voir, entendre, sentir l'océan à 360°, être en directe communication avec lui autrement qu'en y nageant, ou en passant devant comme quand on marche sur la plage, servir de repère aux bateaux en tant que gardienne de phare, que de nouveautés j'allais découvrir ! Exprimer mes sentiments, mes sensations, ma joie, ma stupeur, dire combien ce que je suis en train de vivre est magnifique, raconter ce que cela m'inspire! Passer mon temps à regarder les oiseaux voler au-dessus du Phare, tourbillonner tout autour. Regarder les étoiles, les nuages, le soleil se lever, se coucher, la marée monter et descendre, écouter le vent souffler, le son des vagues, car ce n'est pas un bruit, les vagues.

Que faire de ces heures qui ont une toute autre dimension que celles qu'on vit chez soi, au quotidien, en ville, avec le bruit de la circulation, la télé des voisins ? S'exprimer, créer... lire, écrire, méditer, prier, crier, chanter, danser, rire, pleurer, SEUL ! ... tant de choses qu'on ne ferait pas chez soi, même seul et aussi facilement. Car cet environnement marin est bien particulier, propice à ouvrir son esprit sans crainte. J'aurais adorer voir ce que l'on ressent quand on dort au-dessus de la mer, comment une nuit nous apparait, si ne pas dormir est stressant, voire même réconfortant ?!

Mais voilà. Un certain Corona est passé par là, coupant le souffle court à cette expérience tant attendue, tellement rêvée. Je suis toujours seule, et ce n'est pas cela le problème, mais "confinée" ... chez moi. Par force. Par ordre ! Et ce n'est pas du tout le même sentiment, le même désir de vouloir être seul. La solitude garde sa forme mais change de fond. Et ce n'est pas le fond marin. C'est un fond abyssal déprimant, douloureux, angoissant. Elle n'a plus la même signification, cette solitude. Le désir de créer est abattu comme d'un coup de fusil. Ce n'est pas la même motivation. On s'occupe, on ne créé pas. On médite pour passer le temps, se ressourcer du stress, et non par la vibration que la grandeur de l'océan, l'infini du ciel procurent. Paradoxalement, la nature reprend ses droits avec ce maudit virus. Pire qu'une tempête, on ne peut même plus accéder aux plages et donc à l'océan. Non seulement le rêve s'écroule, mais cela devient une utopie de rêver. On a peur de rêver. Et si le rêve ne se réalise pas ? Ne se réalise plus ? Le manque d'espoir se fait sentir. Va-t-on pouvoir vivre sans espoir ?

Oui la vie continue, oui on peut toujours rêver, espérer que ce confinement redevienne un choix, avec une vue imprenable sur la mer ! On peut l'imaginer devant soi, en fermant les yeux, en regardant une photo, en se faisant le film de ce que ça serait d'y être. Se dire que ce n'est que partie remise et que ça sera encore plus beau, encore meilleur quand on y sera. Se dire que quand on a touché le fond, on remonte très vite et plus haut encore ! On espère que ça va arriver très vite. Demain.

Merci Mon Cher Phare du Bout du Monde de m'avoir lue. Je te garde en fond d'écran, faute de te voir pour de vrai, de boire un verre de vin sur ton "balcon" en regardant le soleil briller, passer à travers les nuages, en entendant le son des vagues, le cri des mouettes.

J'espère de tout coeur réussir à venir passer ces 24 heures de ma vie chez toi. C'est pas beaucoup 24 heures dans une vie mais ça peut être long selon comment et où on les passe, comme en ce moment. Et surtout, ça peut être aussi les plus belles 24 heures d'une vie ! Je suis prête et mon sac sera vite fait.

J'espère de tout coeur que Corona passera son chemin rapidement en nous laissant la voie libre, sans trop faire de dégâts, sans trop de douleur. Que ce ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir. Que ça nous rendra plus fort pour aider ceux qui auront besoin d'aide. Les réconforter et leur redonner confiance. Et qu'on pourra tous ensemble aller regarder l'océan à nouveau, le saluer depuis la plage ou monter à ton bord pour encore mieux le célébrer et l'embrasser ! Et toi avec !

Bien à toi,

NF